Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/210

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Sur la place de la Concorde toute claire, les divinités marines des deux grandes fontaines se dressaient dans un revêtement de glace brillante. L’obélisque, entre elles, semblait rose, et, au loin, l’Arc-de-Triomphe se noyait dans une espèce de vapeur de froid. Un soleil blanc montait dans un ciel sans nuages et pourtant comme tendu d’un voile de gel. Pas une feuille aux arbres. Sur le bassin des Tuileries, au pied de la terrasse, s’étendait une couche de glace, grise et rayée par les patineurs : trois garçonnets, dont on entendait, dans le grand silence du jardin vide, les lames d’acier écorcher le miroir poli, et, au centre du bassin, le jet qui continuait de monter, très bas, entretenait avec un sourd sanglot un morceau d’eau vivante et souple. Entre les fûts grêles ou robustes des marronniers jeunes ou vieux, les statues de pierre semblaient, elles aussi, immobilisées par le froid de ce jour. D’autres flaques d’eau, prises entre les bossuages des allées, luisaient par places, comme des fragments de métal brisé, tombés sur le fond terne du sable, et une immense rumeur, le frémissement de toute la ville, enveloppait la terrasse déserte. Il n’y avait là, outre les deux arrivantes et le jeune homme qui les attendait, qu’une femme âgée, en pelisse de martre, une étrangère, en train de faire courir après une boule deux énormes collies, au long poil fauve, qui aboyaient sauvagement. Oui, quel paysage d’adieu et de mélancolie ! Mais Charles Huguenin était un amoureux, et, pour un amoureux qui se sait aimé, il n’y a de