Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/211

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mélancolique paysage que celui où manque son amie. Il avait vu Reine apparaître, sur le trottoir de la rue Royale, à l’angle de la place, frêle et svelte dans sa jaquette d’astrakan, et, pour lui, l’air était devenu chaud, le ciel voilé s’était empli de rayonnements, cet horizon de ramures nues et d’eaux gelées s’était paré des joyeuses couleurs du printemps. Elle approchait, sa délicieuse fiancée, — il y avait si longtemps qu’il souhaitait de lui donner ce nom, sans même oser l’espérer ! — celle qui avait, par ses conseils, par sa douce et persuasive influence, empêché qu’il ne se laissât prendre à la vie factice de Paris, qui avait réchauffé en lui l’amour du pays natal, le sentiment de la vie simple et vraie ; et elle serait bientôt sa femme ; il l’emmènerait là-bas, bien loin, dans la maison paternelle, claire parmi les cyprès noirs, et ce visage idolâtré dont la minceur un peu creusée le tourmentait parfois, s’emplirait, se roserait, se dorerait dans l’air embaumé du Midi. Charles avait bien eu, la veille, à lire la dépêche de sa cousine, un mouvement de surprise et d’inquiétude, mais qui n’avait pas duré. Son caractère possédait un des traits charmants de la nature méridionale, cette nature complexe et contradictoire, dont le dur réalisme peut être si implacable, — on l’a vu à propos de Mme Le Prieux, — dont la sensibilité souple peut être si gracieuse, — et c’était le cas de Charles. L’héritier des Huguenin, de ces vieux vignerons provençaux, si profondément, si absolument terriens, avait cette patience optimiste où il entre un peu