Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/234

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affolée de mondanités, à l’idée de la réussite sociale que lui représentait ce mariage Faucherot, était si vif qu’il y eut peut-être autant d’inconscience qu’une créature aussi volontaire pouvait en avoir, dans le mouvement d’affection émue par lequel elle pressa Reine entre ses bras en lui disant : — « Ah ! mon enfant ! Je n’attendais pas moins de toi, et je tiens à te le déclarer, maintenant que tu t’es décidée, bien librement, et que je ne risque pas de t’influencer, tu ne pouvais rien faire qui me prouvât mieux combien tu m’aimes… Rien non plus qui fût plus raisonnable… Tu me béniras un jour de t’avoir proposé ce mariage. Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’y pense, tu dois le croire… Mais allons avertir ton père. Le pauvre cher homme va-t-il être heureux aussi !… » Et, prenant Reine par la main, elle l’entraîna jusqu’à l’étroit cabinet du journaliste, qui achevait justement — il était midi — de numéroter les feuillets de son troisième et dernier article du matin. La tension du travail avait rayé son front de rides, enflé les poches de ses paupières rougies et accentué encore le pli lassé de sa bouche. Avec cela, ses cheveux, un peu dépeignés par la pression de ses mains, sur lesquelles il avait appuyé sa tête pour méditer, montraient leurs dessous grisonnants. Le misérable ouvrier littéraire portait, ainsi surpris, dix ans de plus que son âge. Quoique Reine fût, à cette minute, dans cet état de demi-insensibilité dont s’accompagne l’accomplissement de certaines résolutions, qui sont de véritables suicides moraux,