Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/237

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ne s’était senti l’âme plus lourde qu’en passant, après ce morose déjeuner, le seuil de la porte de sa maison, devant laquelle stationnait déjà le coupé de Mme Le Prieux. Le mari allait se rendre, lui, à pied ou en fiacre, à l’une des innombrables commissions de fêtes charitables dont les relations de sa femme le faisaient sans cesse membre ou président. Il s’agissait, cette fois, d’une représentation à organiser pour les victimes d’un tremblement de terre dans les îles Ioniennes. Ah ! par instants, — et ces instants se multipliaient à mesure que la vie avançait, — comme l’époux envié de « la belle madame Le Prieux », comme le chroniqueur aux appointements jalousés, comme le servile manœuvre de copie, se trouvait incapable de plaindre d’autres misères que la sienne, tant son existence lui paraissait lamentable d’avortement ! D’habitude l’image de sa femme et de sa fille lui rendait l’énergie nécessaire. En ce moment, de penser à toutes deux, lui était une étrange douleur. L’une, d’abord, sa femme, lui était apparue, depuis leur conversation à la sortie du théâtre, comme si peu semblable à l’image qu’il voulait se faire d’elle, et qu’il arrivait à s’en faire ! Il y arrivait, mais, pareil en cela à tous ceux qui aiment et qui ne veulent pas juger ce qu’ils aiment, par un effort dont il était, malgré tout conscient. Il conservait, au fond de sa pensée, une place obscure où il ne regardait jamais. Là, s’accumulaient, dans le silence, les preuves du féroce égoïsme de Mathilde, qu’il ne s’avouait pas, et que les susceptibilités de sa