Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/238

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tendresse enregistraient, en dépit de cet aveuglement systématique. Certes, il l’aimait aussi passionnément qu’autrefois. Elle était toujours, à ses yeux, celle qu’il avait connue si malheureuse, au lendemain de la catastrophe paternelle, l’orpheline qu’il n’avait jamais cru pouvoir assez combler, par compensation, en bien-être, en élégance, en luxe et, s’il l’avait pu, en faste. Mais toutes les indulgences, toutes les complaisances de cette passion, que vingt ans de mariage n’avaient pas usée, n’empêchaient pas qu’il n’eût cruellement souffert des horribles défauts de caractère de sa compagne d’existence, même sans consentir à les reconnaître. Pour la première fois, depuis ces vingt ans, cette reconnaissance s’imposait à lui, quoiqu’il en eût, parce que, pour la première fois aussi, un sentiment égal à celui qu’il portait à sa femme entrait en jeu. Ce que le mari n’avait jamais osé pour son propre compte, le père allait l’oser pour celui de sa fille. Que dis-je ? Il l’osait déjà. Hector n’avait jamais jugé sa femme. Il jugeait la mère de son enfant. Depuis la minute où elle avait prononcé le nom d’Edgard Faucherot, il se débattait en vain contre cette indiscutable évidence : non, une mère qui aime sa fille ne la marie pas ainsi ! Elle n’accepte pas, du premier coup et avec joie, l’idée de donner une créature comme Reine, une fleur de délicatesse et de pureté, à un jeune homme tel que ce Faucherot, si médiocre, si vulgaire d’intelligence et de sensibilité, simplement parce qu’il est riche ! Il est vrai que Mme Le Prieux aurait pu arguer, pour