Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sa défense, du consentement de Reine elle-même. C’était ici que le père se soulevait et parlait plus haut que le mari. Quoique ce consentement fût certain, qu’il eût entendu Reine prononcer d’une voix nette et ferme la phrase fatale, ce « j’ai bien réfléchi » qui excluait toute idée d’une surprise et d’une tyrannie, quelque chose en lui protestait, invinciblement. Ses relations avec sa fille, depuis la plus tendre enfance de celle-ci, avaient été exactement l’inverse de celles qui l’unissaient à sa femme. Il avait toujours senti que Reine lui était transparente tout entière. En pensant à elle, il n’avait jamais eu cette impression de secrète contrainte, qu’il éprouvait si souvent vis-à-vis de l’autre. Le point mystérieux du caractère de sa fille n’était même que trop clair pour lui. Ce qu’il avait lu dans ces doux et tristes yeux bruns, c’était la pitié pour son existence de tâcheron, l’intelligence de ses détresses cachées, le regret de ses ambitions d’artiste sacrifiées, c’était autre chose encore… Il n’avait pas voulu y lire cette autre chose, cette condamnation de l’égoïsme maternel, et il l’y avait lue pourtant. Qu’un jeune cœur, de cette finesse d’impression et de cette ardeur aimante, eût, du premier coup, accepté l’idée la plus odieuse à vingt ans, le plus brutal mariage d’argent, le moins justifiable par l’apparence d’un prétexte romanesque, voilà ce que le père n’admettait pas. Il entrevoyait, par derrière cette soumission de sa fille, une énigme dont les données lui échappaient. Il pressentait que sa femme ne lui avait pas dit toute la vérité, qu’entre