Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/247

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les ambitions déçues de sa jeunesse, donna-t-il au père de Reine un irrésistible besoin de revoir cette rue des Beaux-Arts, toute voisine, il est vrai ; mais quel rapport y avait-il, entre l’asile de ses vingt ans, à lui, et la démarche qu’il se proposait de faire, pour sauver d’un mariage détestable les vingt ans de sa fille ? Voulait-il, apercevant soudain les extraordinaires difficultés de cette démarche, en mieux calculer le détail à l’avance, et se donner un peu de temps pour la réflexion ? Ou bien, appréhendant d’avoir, à son retour chez lui, une lutte redoutable à soutenir, allait-il, poussé comme par un instinct, demander un surcroît d’énergie au fantôme du Le Prieux qu’il avait été, passionnément épris d’Idéal et d’art, et profondément, absolument étranger à la misère des compromis sociaux ? Plus simplement encore, les émotions éprouvées, depuis ces quarante-huit heures, au sujet de sa fille, avaient-elles achevé de donner une forme aiguë à certaines idées qu’il refusait de s’avouer depuis si longtemps, et un maladif désir le dominait-il, de constater d’où il était parti, pour arriver où, et à cause de qui ? Toujours est-il qu’à la hauteur de la rue Jacob, il frappa contre le carreau de sa voiture, fébrilement, pour l’arrêter, et, au lieu de continuer dans la direction de la rue d’Assas, il descendit, paya le cocher, et s’achemina à pied vers son ancienne demeure. Il était dans une de ces minutes singulières, durant lesquelles la ressemblance, l’identité plutôt, entre notre destinée et la destinée de ceux dont nous sortons ou qui sortent