Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/270

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preuve aussi indiscutable des inclinations de leur enfant, elle ne s’obstinerait pas dans un projet dont elle n’avait certainement pas soupçonné la férocité. La raison mystérieuse que Reine avait refusé de révéler se trouverait être un malentendu, comme il l’avait dit lui-même. Quoiqu’il s’enfonçât cette idée dans la pensée, avec toute la force de son amour pour sa femme, cet homme, perspicace malgré son cœur, n’arrivait pas à chasser l’autre idée, sortie, semblait-il, du plus fortuit rapprochement, et quand il introduisit dans la serrure de la porte de son appartement la petite clé de sûreté en or — un présent de sa femme, naturellement — qu’il portait à la chaîne de sa montre, comme un bibelot d’élégance, cette autre idée l’obsédait de nouveau, d’une façon singulièrement douloureuse. D’où lui serait venue sans cela, dans ces circonstances et à cette minute, l’image d’un des grands éditeurs de Paris, rencontré à une première représentation ces temps derniers, et qui lui avait dit : « Je fonde une revue. Le Prieux. Si vous écriviez pour moi vos souvenirs ? Vous me donneriez ensuite le volume. Nous ferions une affaire double, voulez-vous ?… » — « Mes souvenirs ? » avait répondu le journaliste, « mais je n’ai jamais eu le temps de vivre. Où aurais-je pris celui d’en avoir ?… » Pourquoi se rappelait-il cette conversation, sur le palier de son appartement, sinon parce qu’il cherchait déjà le moyen d’augmenter encore ses revenus de cette année ? Il entrevoyait la possibilité d’un nouvel engagement, après tant d’autres ! Quel arriéré pensait-il donc à combler ?