Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/272

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s’ensevelir, quand elles souffrent d’une certaine sorte de souffrance, comme si même la lumière était alors pour elles une des brutalités de la vie. Et quand elle eut tourné la clé de la lampe électrique, sous cette dure clarté blanche qui fait plus crûment saillir les stigmates des visages, elle montra au père une physionomie si altérée de douleur qu’il eut peur, un instant, du sursaut de joie qu’elle allait recevoir. Mais déjà, elle s’était accoudée sur les oreillers brodés de son petit lit, comme à l’époque où, fillette de moins de dix ans, il venait la surprendre et l’embrasser, avant de partir pour le théâtre, et, avec une grâce enfantine et ce souci des autres, trait délicieux, geste inné de cette tendre et fine nature, elle disait : — « Il ne faut pas vous inquiéter de moi, mon cher Pée. J’ai eu un peu froid, en allant et revenant du cours… Avec la chaleur du lit, cela passera. Et demain matin, c’est le jour de votre grande chronique, je pourrai me lever, pour bien vous préparer toutes vos choses… » — « Tu pourras surtout te reposer, » répondit Hector. Et, tirant de sa poche les feuillets< griffonnés sur la table du café : « Ma chronique est faite. Votre Pée n’aura donc pas besoin de vous, mademoiselle Moigne, et, pour une fois, vous paresserez à votre aise… Et puis, » ajouta-t-il, après un silence et sur un ton qu’il essayait encore de rendre plaisant, mais le trouble intérieur palpitait dans sa gaieté feinte, « et puis, quelqu’un m’a remis une lettre pour vous… » Et il ouvrait son portefeuille