Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/297

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un de ces Justes dont l’image vous suit toute la vie, — qui sait ? ce hideux instinct de haine contre le bonheur d’autrui aurait, sans doute, grandi en moi… Je ne me ferai pas meilleur que je ne suis. Je le retrouve encore dans les arrière-fonds de mon cœur, à de vilaines minutes. Alors je rentre chez moi et je vais regarder un talisman que ce Juste m’a laissé… Le voici », ajouta-t-il en avisant sur son bureau une statuette de bronze, simplement posée sur des papiers. « C’est un Hermès, comme vous voyez, de ceux qu’on appelle des psychagogues, ou conducteurs d’âmes. Son geste et son caducée l’indiquent. Vous verrez que pour moi, il est bien nommé ainsi. Ce doit être une reproduction romaine d’une assez belle chose grecque… Depuis trente-neuf ans, ce bibelot ne m’a jamais quitté, et j’en ai cinquante. Ce qui vous prouve que la scélératesse dont j’ai là l’inoubliable témoin remonte à ma onzième année… » Nous nous récriâmes sur ce chiffre qui contrastait trop fortement avec la sévérité des termes employés par notre camarade. Il nous répondit par une confession que je transcris textuellement, je le répète, sans y rien changer, sinon deux ou trois détails qui désigneraient trop clairement le lieu et le héros de cette tragédie enfantine. Et que celui-ci pardonne cette indiscrétion à son auditeur et ami !…

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