Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/312

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je franchis d’un bond celles qui restaient. Je me retournai vers mon nouveau camarade, demeuré sur le haut du perron. Je m’attendais de sa part à quelque phrase d’étonnement ; car je n’avais pas hasardé ce saut sans un léger frisson de peur, et je me considérais comme très brave de l’avoir osé. Octave cependant ne traduisit son admiration par aucun mot, par aucun geste, mais je le vis avec stupeur, les pieds joints, les bras en avant, dans la classique attitude que le maître de gymnase nous recommandait, prendre son élan, fléchir deux fois sur les jambes, et, à la troisième, franchir toutes les marches de cet escalier. Il n’avait pas, comme moi, diminué la distance en descendant les trois ou quatre degrés du haut. Quand il eut accompli ce tour de force, qui en était vraiment un pour un enfant de son âge et de sa taille, son orgueil se manifesta simplement par un regard. J’y répondis par l’irrésistible cri de tous les amours-propres froissés : « J’en ferai bien autant… » Je remontai en haut du perron. Ah ! Que la file des marches me paraissait longue ! Mais je rencontrai derechef le regard de mon compagnon, et je m’élançai à mon tour… Fut-ce la maladresse, produite par la crainte de l’insuccès ? Ou bien, la trop grande distance dépassait-elle réellement mes forces de sauteur ? Toujours est-il que mes pieds portèrent à faux sur les derniers degrés. Au lieu de retomber d’aplomb, j’allai rouler sur le gravier de l’allée, les genoux ensanglantés, mon pantalon déchiré, l’épaule meurtrie, enfin une de ces chutes à se casser les deux