Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/319

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on malheur voulait que mon oncle, en sa qualité de mathématicien, joignît, à d’admirables vertus de cœur, la plus complète méconnaissance des réalités humaines. Lorsque je me reporte en pensée à cet hiver de 1855 à 1856, où cette vilaine passion d’envie développa si étrangement en moi sa végétation funeste, je reconnais toujours que la maladresse de mon pauvre oncle en fut, à son insu, le plus puissant auxiliaire. L’habitude des sciences abstraites lui avait donné en éducation le même défaut qu’en politique : il raisonnait au lieu d’observer. Il ne s’est jamais douté qu’il commença aussitôt de m’être un bourreau, par un éloge quotidien des perfections d’Octave opposées à mes défauts. Il croyait ainsi me corriger, et il ne s’apercevait pas qu’en me proposant, pour modèle, précisément l’enfant dont la nature volontaire et méthodique était la plus opposée à la mienne, il m’enfonçait dans ces défauts. Je n’ai jamais été plus désordonné, plus inégal, moins soigneux, que dans cette période, par une instinctive réaction contre ces phrases, sans cesse répétées : « Regarde Octave… Pourquoi tes cahiers ne sont-ils pas tenus comme les siens ?… Pourquoi n’es-tu pas exact comme lui !… Vois comme il garde ses vêtements propres… » Mon oncle augmentait l’effet désastreux de cette constante comparaison, en témoignant à mon petit camarade une affection qui achevait d’exaspérer ma jalousie. Il s’était lié d’une grande amitié avec M. Montescot. Un philosophe et un géomètre sont tout naturellement faits pour