Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/351

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ma sensation qu’entre Mme Réal et M. de Norry, il se passait, ou allait se passer, quelque chose qui le contrariait prodigieusement.

IV

Quelque chose ? Mais quoi ? En cherchant à reconstituer, avec mon intelligence d’homme fait, les pénombres de ma conscience d’enfant, je n’arrive pas à bien concilier deux faits, absolument certains et contradictoires : d’une part, l’ignorance entière où j’étais des réalités de la vie, le trouble profond, d’autre part, où me jeta cette parole soupçonneuse, qui aurait dû n’avoir pour moi aucune espèce de sens. Mon grand-père n’avait pas dit que M. de Norry courtisait Mme Réal, ni qu’il en était amoureux. Pourtant, c’était cela que j’avais compris. Comment l’avais-je compris ? De quel prestige était déjà revêtu, pour mon imagination, ce sentiment de l’amour, qui ne me représentait que la plus chimérique et la plus indéterminée des exaltations ? Je n’en sais rien. Mais ce dont je suis sûr, c’est que je n’avais rien connu de pareil à ce trouble éveillé en moi, — à la fièvre de dévorante curiosité dont je fus soudain consumé, — à mon anxiété de savoir ce que M. de Norry et Mme Real éprouvaient à l’égard l’un de l’autre. — Trouble, fièvre et anxiété qui eurent pour plus clair résultat — je n’ét