Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/368

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mari d’être gais, d’être jeunes, de marcher, de parler, de respirer, d’exister enfin, tandis que l’autre, le petit, son petit, gisait immobile dans sa tombe. Elle n’avait pas seulement cessé de les aimer. Par moments il lui semblait, et tout son être en frissonnait de remords, qu’elle les haïssait, comme s’ils eussent volé à l’absent sa part de joie, de santé, de lumière. De les entendre l’appeler : « Maman » lui donnait une maladive et cruelle envie de leur crier : « Taisez-vous, je ne suis pas votre mère !… » afin que ces deux syllabes ne lui fussent plus adressées par personne, puisque la chère et fine bouche qui seule avait le droit de les prononcer vraiment ne devait jamais les lui redire. Ce matin, cette passionnée rancune contre ses beaux-enfants l’avait remuée plus profondément. Elle avait voulu, comme les autres années, leur remettre elle-même leurs œufs de Pâques. Elle pouvait se rendre cette justice en effet : plus cette injuste haine grandissait dans son âme, plus elle appliquait son énergie à n’en rien trahir dans ses actes. Les enfants étaient donc venus dans sa chambre. Elle avait vu leurs yeux éclairés par la fièvre de l’impatience, leurs mains ouvrir en tremblant les gros œufs de bois colorié, leurs visages s’extasier devant les objets qu’elle leur avait choisis : une jolie épingle pour le petit garçon, une chaîne avec une croix pour la fille… Dieu ! Les innocents mais les durs bourreaux, et qui lui avaient retourné le couteau dans le cœur rien qu’à lui montrer leur joie naïve, ce plaisir de vivre et d’être au monde, qui égayait même leurs vêtements noirs !