Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chez qui l’émotion triompha d’abord de cette virile réserve. Lorsqu’il fut descendu devant la porte de ses parents, je ne pus me retenir, en lui prenant la main, de lui dire d’un accent que l’angoisse étouffait : — « Rappelle-toi comme ils t’ont aimé ?… » — « Ils eussent mieux fait de me haïr, » répondit-il, « je leur en voudrais moins. » Ces sacrilèges paroles furent prononcées avec un ton où frémissait un tel sursaut d’indignation, à la fois implacable et froide, le regard d’Eugène était chargé d’une telle intensité de mépris, je le sentais arrivé à un tel état de frénésie intérieure, sous ses apparences calmes, que je le laissai entrer dans la maison et disparaître, sans lui avoir répondu. A quoi bon encore ? Je me rejetai dans la voiture, en m’abandonnant enfin à la pitié dont je débordais, et je ne pouvais que répéter ces mots, toujours les mêmes : — « Dieu ! les pauvres gens ! les pauvres gens !… » L’image qui m’arrachait ce cri de terreur, c’était celle de mon ami apparaissant comme un justicier devant ce vieil homme et cette vieille femme et les reniant, les outrageant pour avoir fait de lui le complice d’une infamie, de cet abus de confiance envers un mort. Je voyais le fils arrivant dans cet appartement que je connaissais si bien, je les voyais, eux, j’entendais leurs voix : « Tu veux donc, ô mon enfant, égorger ta mère ? — Ce n’est pas moi qui