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Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/87

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n’avions pas droit à ce bonheur. Je ne trouve pas les mots pour m’exprimer… A chacun de tes succès, à chaque joie que tu nous donnais, c’était comme si la dette augmentait. Tu vois bien que j’avais raison de penser qu’il nous faudrait tout payer un jour, puisque j’en suis à te parler ainsi… Cette pensée était devenue si forte, si obsédante, qu’il y a deux ans, je voulus essayer de m’en délivrer un peu. Ton père et moi, nous savions que l’autre était entré au régiment, puis dans une école à Versailles, et qu’il en avait été chassé pour inconduite. Nous l’avions perdu de vue après. Je m’imaginai que, si nous pouvions le retrouver, lui rendre, non pas tout, mais quelque chose, lui faire du bien, je serais soulagée d’une partie de ce poids, que je n’aurais plus cette appréhension, ce battement de cœur… Et Corbières a cherché ce garçon. Il l’a retrouvé en effet. Pourquoi ai-je voulu le voir, moi aussi ? Je n’ai pas pu m’en empêcher. C’a été un besoin physique de l’avoir là, devant mes yeux… C’est alors que j’ai senti, que j’ai touché le châtiment. Quand j’ai constaté ce qu’il est devenu, le remords m’a prise, et j’ai eu peur, non plus pour nous, mais pour toi. Je me suis dit ce que tu me disais tout à l’heure, que peut-être, avec cet argent dont nous l’avions frustré, il ne serait pas tombé si bas. Je n’ai plus vu seulement dans cet abus du dépôt un emploi défendu. J’ai vu le crime… Tu comprends le reste… Mon trouble a été si grand, que cet homme n’a pas pu ne pas le remarquer… Avant de mourir, M. Haudric lui avait écrit ses intentions