Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/142

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fera, s’il sera sage ou bien en l’air. Je ne me souviens pas de m’être jamais trompé… Je ne me trompe pas davantage pour ma cousine. Depuis que vous venez à la maison, elle est une autre femme. Quand elle était seule, autrefois, elle riait, elle chantait. Moins depuis la mort de sa mère. Tout de même, elle restait si gaie de caractère. Un rien l’amusait. Maintenant, c’est fini… Elle ne rentrait jamais de promenade, sans me raconter comment s’était comportée sa bête, qui elle avait rencontré. Fini encore… Je l’interroge. Oui. Non. C’est tout. Elle n’est pas là… Quand vous devez venir le matin, elle a la fièvre. Ce n’est pas une fois, c’est dix, c’est vingt, qu’elle marche jusqu’à la porte. Elle vous attend. Lorsqu’un fiacre s’arrête et qu’une autre personne en descend, qui n’est pas vous, ses yeux allaient briller ; ils se voilent. Son sourire commençait ; il s’arrête… Le soir, quand nous demeurons à table, à boire notre vin, après le dîner, son père, elle et moi, elle causait, si gentiment… C’est fini encore. Elle dit qu’elle est fatiguée et elle se retire dans sa chambre. Il faut bien une explication à ce changement. Vous êtes, vous, cette explication… Eh bien ! monsieur le comte de Maligny, je suis venu vous dire, moi, John Corbin, qui ne suis ni comte, ni quoi que ce soit qu’un bon Anglais et un bon chrétien : L’homme qui prend l’argent d’un autre homme commet un vol. L’homme qui prend le cœur d’une fille en commet un autre. Nous avons une loi, en Angleterre, qui reconnaît cela, pas assez, car elle ne punit que le manquement à la promesse de mariage : le breach of promise. Le crime n’est pas moindre de troubler un être innocent, pour toujours peut-être. Vous ne m’avez pas étonné en me disant, tout à l’heure, que Hilda ne vous avait pas permis de lui parler d’amour. Quelle différence y a-t-il, soyez honnête, si vous le lui avez inspiré, cet amour, sans