Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/155

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longtemps que Corbin avait passé, au trot de sa bête, sur cette même place. Ce petit laps suffisait pour qu’un troisième changement d’idées commençât de s’accomplir chez Jules.« Mon devoir ? », se répétait-il. « Mais j’ai des devoirs aussi envers ma mère. Je viens de constater combien mon absence, en ce moment, lui serait pénible… Qu’ai-je promis, après tout, quand j’ai parlé de faire mon devoir ?… De ne plus compromettre Hilda ? C’est un point… De m’arranger pour qu’elle cesse de m’aimer ? C’est un second point… Pour celui-là, il est un peu naïf, ce brave Corbin, qui croit qu’une séparation de quelques mois met fin à un sentiment, quand il est vrai. Mais ce sentiment est-il vrai ? Hilda m’aime-t-elle ?… Qu’en sait Corbin, réellement ? Qu’il l’aime, lui, c’est bien certain, et qu’il soit jaloux, ce n’est pas moins certain… Il prétend qu’il n’a aucune idée de jamais l’épouser. Ce n’est plus aussi certain, cela… Il est jaloux… Jaloux ?… Mais s’il avait trouvé cette ruse pour se débarrasser d’un rival qu’il redoute ? Ce serait bien nature et pas trop mal joué. Allons, allons. Je bats la campagne. C’est un simple, ce Corbin, et je vais lui prêter des calculs à la Machiavel… Non. Il était sincère… Il souffrait… Je l’ai senti à sa voix, à son geste, à tout… D’ailleurs, il y a l’article. Je l’ai lu imprimé. Ce n’est assurément pas lui qui l’a écrit et porté à ce journal… Mais Corbin peut être sincère et se tromper… Non, il ne se trompe pas. Hilda m’aime. Elle m’aime… »

Le jeune homme était à la hauteur du jardin des Invalides, à l’instant où il se prononçait ces mots. Tout auprès, les fameux canons soi-disant pris par son ancêtre tendaient leurs longs cols de bronze. Qu’il avait joué de fois, petit garçon, comme tous les enfants du quartier ont fait, font et feront, nobles et plébéiens, riches et pauvres, sur les affûts