Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

véracité de Jules, dans ces toutes petites choses, que Mme de Maligny elle-même. Peut-être, — car la plus loyale enfant, lorsqu’elle est amoureuse, a de ces ruses avec sa propre conscience, — oui, peut-être était-elle bien aise elle-même d’abriter, derrière un prétexte de métier, le plaisir trop vif que lui causait la surprise de cette présence inattendue, à une minute où elle était seule.

— « Ah ! M. Campbell est sorti ? » répondit le jeune homme, machinalement. Il s’était assis sur une chaise, auprès du bureau, sans que son amie, cette fois, fit rien pour éviter ce tête-à-tête. Quel signe, étant donnée sa native prudence, qu’aucun soupçon ne traversait plus son cœur ! Elle avait reculé un peu son fauteuil, et Jules commençait de la regarder, en proie à une impression plus forte que toutes celles qu’il avait connues depuis ces dix semaines. Il répéta, sans même entendre ses propres paroles : « Ah ! il est sorti ?… » La certitude qu’il était aimé avait été bien douce, tout à l’heure. Elle l’étouffait, maintenant, d’une joie trop forte, à deux pas de cette fine créature, qu’il écoutait respirer, qu’il sentait bouger et vivre. Il eût voulu se mettre à genoux devant elle, lui prendre ses blanches mains, — qui n’avaient pas d’alliance, — les couvrir de caresses, les baigner de larmes. Ce n’était plus le désir brutal du premier jour, mais un attendrissement infini, une palpitation intérieure, presque accablante, par l’excès de l’émotion. Il regardait, il contemplait Hilda sans pouvoir détacher ses yeux de ce visage virginal, dont il savait le tendre secret, et son visage à lui avait pris une expression si évidemment troublée, la fièvre de passion dont il était dévoré mettait une telle flamme dans ses prunelles, sa physionomie était si différente enfin, de son habitude, que ce changement inquiéta soudain la jeune fille, qui ne put se retenir de lui demander :