Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/195

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Revoyait-il, dans le demi-songe qui est toute la mémoire des animaux, les courses folles du printemps, au-devant de ses camarades de l’écurie de la rue de Pomereu ? Toujours est-il qu’arrivé près de la porte du Bois, il ne manquait jamais de baisser l’encolure et de plonger, avec la malicieuse idée, d’emmener son cavalier précisément du côté où celui-ci ne voulait pas aller. À chaque promenade et au même endroit, la même petite bataille s’engageait entre eux, qui se terminait, comme de juste, par un triomphe du cavalier, et Galopin de reprendre le chemin de la rue de Monsieur en baissant les oreilles, dressant la queue et méditant, pour la prochaine fois, un saut de mouton ou une autre défense plus énergique, tandis que Jules le flattait de la main et lui disait tout haut quelque phrase destinée à calmer sa mauvaise humeur, calomnieusement expliquée par une gourmandise déçue :

— « Vous avez envie des morceaux de sucre de miss Hilda, Galopin, et, moi, j’aurais bien envie de revoir ses doux yeux. Nous sommes, tous les deux, privés de notre dessert. Galopin, Vous n’êtes pas le plus malheureux… »

Ces propos tenus, par le jeune homme, à son cheval, d’après la mode des héros antiques, la pauvre donneuse de morceaux de sucre ne les soupçonne pas. Elle les apprendrait qu’avec sa droite et simple manière de sentir elle ne les comprendrait guère. Elle est à l’autre extrémité du Bois, au même moment, en train de pousser son cheval, elle aussi, et de se dire, pour la mille et unième fois, la phrase qui la désespère : « Jules ne m’aimait pas. » Sur le prétexte donné par son fiancé d’un jour, elle ne s’est jamais permis d’élever le moindre doute. Elle est bien persuadée que les choses se sont passées exactement