Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/20

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choisi Brokenhurst, sur le bord de la New Forest où se voit une race de poneys soi-disant issus des Andalous de la légendaire Armada. Mais Bob n’était pas seulement l’un des meilleurs experts en chevaux que l’Angleterre ait donnés à la France. Ce fidèle sujet de Sa Majesté la reine Victoria avait aussi, de son pays, les deux vices les plus nationaux : il aimait passionnément le whiskey, plus passionnément encore le pari. Il satisfaisait l’un et l’autre, par un poker quotidien, dans un bar d’entraîneurs et de bookmakers, le soir, la journée finie. Il les satisfaisait non moins librement, tout le long de l’année, sur les champs de courses, où il risquait d’énormes sommes. Or, les cartes, malgré son talent de bluffeur, et les « favoris » de la cote, malgré ses dons de maquignon, lui avaient tant mangé de ce qu’il avait gagné, qu’à cinquante-cinq ans il devait travailler encore. Vous le trouviez, exact à son poste, dès les huit heures, dans son yard. Il était là qui poussait du pied la litière des chevaux, pour juger si elle était bien fournie. Il les regardait au poil et à l’œil pour savoir si leur ration d’avoine avait été bien réglée, aux tendons pour juger de leur fatigue de la veille. À tous il apportait un petit morceau de sucre. Il en avait une provision dans la poche de sa jaquette. Je crois le voir encore, après tant de jours écoulés, qui leur gratte la tête, qui leur tire l’oreille, qui leur tapote la croupe, et les braves animaux s’ébrouent, le flairent de leurs naseaux, dressent leurs oreilles à sa voix. J’entends ces mots anglais vibrer dans l’air, avec des clapotements de langue :

— « Dear old boy… You jolly chap… You silly monkey… »

Et les « chers vieux garçons », les « gais compagnons », les « stupides singes » allongeaient leur tête, chacun hors de son box. Où était-on ? à Paris ou