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II

LA DIPLOMATIE DE JACK CORBIN


Amoureux ?… Oui, le maigre, le long Jack, ce Don Quichotte à la cicatrice toujours congestionnée, ne l’était que trop profondément. Et il traversait, depuis ces six mois, à travers ces pitiés pour la mélancolie désespérée de sa cousine et ces rages secrètes contre l’auteur de ce désespoir, la crise morale la plus compliquée, — lui, une sensibilité toute primitive, un caractère taillé à vives arêtes. Certaines situations sont, par elle-mêmes, si fausses, si contradictoires, que les âmes les plus frustes n’y peuvent rester simples. Comment vivre tous les jours, toutes tes heures, à côté d’une femme que l’on aime, la voir qui souffre par un autre, et ne pas agoniser de jalousie ? Comment, dévoré par cette passion, la pire des conseillères, ne pas être tenté d’agir, par n’importe quel moyen, sinon contre la personne du rival, au moins contre l’image que la femme aimée garde de lui ? Les pires inventions de la calomnie deviennent alors naturelles, naturelle aussi cette fièvre d’enquête, voisine de l’espionnage, qui fait que le plus honnête homme conçoit comme possibles, quand il s’agit d’obtenir une preuve de l’indignité de ce rival, des actes qui répugneraient, en toute circonstance, à ses plus instinctives délicatesses : violer le secret d’une enveloppe cachetée ou d’un meuble fermé, acheter le témoignage des domestiques, suivre en