Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/215

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bien malheureuse de cette évidence trop indiscutable, qu’elle n’était pas aimée comme elle aimait. Tout étrange qu’un pareil aveuglement puisse paraître, elle n’avait pas admis une seconde l’hypothèse qu’à six mois de distance — moins de six mois, puisque la double intrigue avec Mlle d’Albiac et Mme Tournade datait d’une croisière de l’été — Jules commençât déjà de s’occuper d’une autre femme. Tandis que le peu diplomatique John Corbin répétait, avec une exactitude de détective et sans une atténuation, les méchants propos de Mme Mosé et de Candale, Hilda avait distinctement vu en esprit son amoureux du printemps. Cette câline physionomie lui était apparue, éclairée de cette lueur qui passait dans ces prunelles, quand le jeune homme voulait plaire. Ces changements du visage de son ami, elle les avait observés tant de fois, lorsqu’il arrivait à leurs rendez-vous et qu’elle l’apercevait avant que lui-même ne l’eût aperçue. Oui. Il s’était représenté à elle avec cette expression, et dans cette forêt de Chantilly, qu’elle connaissait également si bien. Il était là, galopant sur son cheval, — ce cheval dont elle voyait avec non moins de netteté la silhouette et l’allure. Une autre femme était là aussi, tout près de lui, qu’il regardait de ces regards caressants. Cette Mlle d’Albiac, avait-il dû être charmeur avec elle, comme il savait l’être, pour qu’elle se fût éprise de lui, au point de devenir la fable de toute leur société !… Et l’autre, cette Mme Tournade, dont on disait qu’elle voulait l’épouser, la pauvre délaissée se l’était figurée pareillement, accoudée, elle, au bastingage du paquebot de plaisance, par une de ces longues et transparentes soirées des étés du Nord. Hilda, elle-même, au cours d’un voyage en Ecosse, au delà d’Inverness, avait goûté la douceur de ces pâles crépuscules prolongés jusqu’aux environs de