Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/23

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ses fines épaules musclées, sa jambe prise dans la molletière de cuir jaune, l’éperon au talon, elle passait sa vie à manœuvrer de la rue de Pomereu à la porte du Bois, puis le long de l’allée des Poteaux et de la Reine-Marguerite, un des dear old boys ramenés, par son père, de quelque marché anglais. À pied, elle paraissait de taille moyenne. Sitôt en selle, à cause de son buste un peu long, elle semblait plus grande. Ses doigts gantés maniaient les rênes de bride et celles de filet avec cette sûreté légère qui traite les barres d’un cheval comme un virtuose les touches d’un piano. Ce petit tableau-là aussi, je le revois comme si c’était hier. L’animal danse et s’encapuchonne, il se traverse, il essaie de se dresser sur ses membres postérieurs, en tournant sur lui-même, pour jeter à bas cet insolite fardeau. La jeune fille ne bouge qu’à peine. On dirait qu’une magie émane d’elle. La souplesse de ses mouvements, le jeu de sa main, celui de sa jambe, rassurent le cheval. Il part, effaré au passage d’une automobile qui le frôle, — elles ne foisonnaient pas alors, — affolé au sifflement d’un train qui sort du tunnel de la Porte-Dauphine. L’écuyère le calme d’un mot, d’un geste, d’une caresse. Voici le Bois. Il jette son feu dans un temps de galop qu’elle lui permet… Une heure plus tard, quand elle rentre dans la cour de la rue de Pomereu, c’est au petit trot bien réglé de sa monture assagie, et elle saute à terre toute seule, sans que cette bataille avec la bête ait dérangé un seul des fils d’or fauve de sa chevelure, ni chiffonné la toile piquée de son col droit, ni froissé la basque de sa longue jaquette. Ses joues ont seulement rosi à l’air vif et dans l’ardeur de la course. Ses lèvres s’ouvrent sur ses fines dents blanches pour une respiration plus profonde, et un rien d’orgueil se lit dans ses yeux, tandis qu’elle flatte de la main le garrot fumant de son