Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/233

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— « Quand Jack aura été amoureux, une fois dans sa vie, il changera. Il est temps, il est grand temps… Il devient plus rude de jour en jour… »

Donc, son cousin, une fois sorti, Hilda parlerait. Qu’il y avait de tendresse encore, pour l’infidèle Maligny, dans ce désir qu’aucun commentaire de ce trop lucide témoin n’éclairât vraiment la religion du père !… Elle parlerait, mais en quels termes ? Elle était en train de construire et de reconstruire mentalement, dans le courant de l’après-midi, les phrases par lesquelles elle aborderait cette conversation, d’une importance presque tragique pour sa naïve sensibilité, quand un incident, absolument inattendu, bouleversa toutes ses résolutions. On y a fait déjà une allusion. Il allait soulever en elle des instincts de rancune que même l’abandon, au lendemain de si solennelles promesses, n’avait pas éveillées. Elle était assise au bureau, comme le jour où Jules l’avait surprise, et elle vaquait derechef à la fastidieuse besogne des comptes, — du moins elle semblait y vaquer, car sa pensée en était bien loin, — lorsque John Corbin ouvrit la porte. Il fallait qu’un épisode d’une gravité extraordinaire se fût produit pour qu’il reparût devant sa cousine, après la terrible scène du matin. Le visage décomposé par l’émotion, il tenait à la main une carte de visite qu’il tendit à Hilda.

— « Cette dame est dans la cour, qui demande absolument à vous voir… Dick lui a dit que vous étiez à la maison… »

Miss Campbell prit la carte et vit qu’elle portait le nom de Madame Henri Tournade. Elle resta là, une minute peut-être, à dévisager les lettres gravées sur le mince carré de bristol, avec une émotion si intense que sa main en tremblait. Corbin, immobile, n’osait pas interrompre cette méditation. L’humilité de son attitude eût touché son pire ennemi. — Mais une