Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/242

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il y a de plus inchangeable dans un être : une façon brutale de sentir. Elle en donna la preuve, une fois de plus, dans ce bref entretien avec cette pauvre petite Anglaise dont le seul aspect aurait dû la toucher, par la délicate, la profonde mélancolie empreinte sur ce pur et charmant visage. La richarde, habituée à ne rencontrer autour d’elle que des complaisants ou des boscards, n’était pas femme à ménager les susceptibilités de cœur d’une rivale. Dans l’espèce, pour elle, cette rivale n’était qu’une marchande à ses ordres. Sur un signe de Hilda, un groom était allé chercher dans un box le cheval demandé. Pendant le temps que dura cette petite opération, Mme Tournade ne discontinua pas de fixer la jeune fille, et elle finit par lui dire, avec une brusquerie d’interrogation presque agressive :

— « C’est un de vos amis qui m’a donné votre adresse, mademoiselle, le comte Jules de Maligny… Vous le voyez beaucoup, n’est-ce pas ?… »

— « M. le comte de Maligny est un des clients de mon père, » rectifia Hilda, sans que la plus petite rougeur eût teinté ses joues, elle qui changeait si aisément de couleur dès qu’elle était émue. Aussi bien elle ne l’était plus, tant le mépris l’emportait en elle sur tout le reste.« Et c’est cette femme qu’il veut épouser parce qu’elle est riche !… »pensait-elle. « C’est à cette femme qu’il m’a livrée !… » Et, tout haut :« M. de Maligny nous a acheté un cheval, au printemps, qu’il n’a pas gardé. Mais je ne crois pas que ce soit pour aucune autre raison qu’un départ. Il nous avait dit qu’il en était content. »

— « Vous ne l’avez pas vu, hier, à Chantilly, à la chasse ? », demanda l’inqualifiable questionneuse, que la jeune fille regarda bien en face, afin de lui faire honte. Puis, sans se départir de cette politesse toujours impassible, elle répliqua :