Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/254

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de tous les besoins de l’amour le plus impérieux ? Un de ces sophismes, par lesquels cette passion, la plus féconde de toutes en prétextes, excelle à tromper nos scrupules, lui fit se dire : « Mais, si je ne suis pas là, Jules croira que j’ai peur de lui… Moi ? peur de lui ? Après qu’il m’a vendue à cette Mme Tournade ?… Peur ?… Et pourquoi ?… Non. Le mieux, au contraire, est d’assister à cette entrevue avec mon père, et qu’il constate par lui-même que sa présence ne m’est plus de rien. Car il ne m’est plus de rien, de rien, de rien… »

Il y avait, dans cette délicate et courageuse créature, — on aura pu l’observer à maints petits signes au cours de ce récit — d’extraordinaires ressources de force intérieure. Tout éprise qu’elle fût, les caractères profonds de sa nation demeuraient en elle : et d’abord, ce culte de sa propre dignité, qui fait qu’un vrai Anglais ou une vraie Anglaise s’acharne à ne jamais rien montrer de ses terreurs, par exemple, même dans le pire danger, — cette habitude et ce goût du stoïcisme, vis-à-vis de la souffrance, — cette aversion pour ces éclats de la sensibilité nerveuse que leur langue si directe appelle brutalement : to fall in hysteries. Aussi, lorsque Jules arriva, sur le coup de trois heures, comme il l’avait annoncé, eut-il la surprise d’apercevoir, debout dans la cour, auprès du lourd Bob Campbell, toujours identique à lui-même, de carrure et de façons, une Hilda qu’il ne connaissait pas. Ce n’était plus la farouche et rougissante fille des tout premiers jours, ni la tendre et souriante amie des derniers. Une indifférence polie et glacée immobilisait ce joli visage dont la maigreur et la pâleur auraient touché le jeune homme, si elle ne l’avait pas regardé s’approcher avec des yeux d’une altière tranquillité. Il faut ajouter qu’il venait de chez Mme Tournade, et que celle-ci lui