Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/261

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Maligny. Ce désespoir de la jeune fille, qui mettait dans ses prunelles bleues une espèce de morne stupeur, était devenu, pour lui, le signe d’une duplicité dont il ne doutait déjà plus.

— « Oui, » songeait-il encore, « joue moi la comédie de la froideur, maintenant que vous m’avez rappelé, mademoiselle Hilda. Vous ne me ferez pas vous poser une question, ni vous montrer une inquiétude… Le charme est rompu, — du moins, l’ancien charme, — car, si vous vouliez… »

— « C’est pourtant bien lui, » se disait Hilda au même moment… « Je ne rêve pas… Ah ! que je suis punie d’avoir voulu le revoir à tout prix !… Il n’a seulement pas l’air de se rappeler qu’à deux pas d’ici, dans ce petit bureau de mon père, il m’a demandé d’être sa femme. Ce sont bien ses yeux. Ce n’est plus son regard… C’est bien le timbre de sa voix. Ce n’est plus sa voix… Il sait parfaitement qu’il n’a point parlé à Corbin, avant-hier. Il sait donc aussi qu’en lui écrivant, mon père a été induit en erreur par quelqu’un, et ce quelqu’un ne peut avoir été que moi. Nous avons assez causé ensemble, l’autre printemps, pour qu’il connaisse mon caractère. Il doit penser que, si j’ai employé ce moyen pour reprendre avec lui des relations, j’ai eu un motif, obéi à un sentiment, et alors s’il était encore ce qu’il était il y a six mois, s’il me portait un véritable intérêt… Non. Il est aussi tranquille, aussi gai, que si nous n’avions pas un secret entre nous. Oui, il y a six mois qu’il ne m’a pas revue, depuis le jour où nous nous sommes dit que nous nous aimions, six mois, et de se retrouver ici ne le trouble pas !… Il se tairait, il nous montrerait, à mon père et à moi, de la froideur, je pourrais croire qu’il se domine comme je me domine, qu’il cache son émotion comme je cache la mienne, mais qu’il en a une… Non. Il n’a pas d’émotion… Pourquoi est-il