Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

venu, alors, s’il ne m’aime pas ? Est-il possible qu’il me fasse l’affront de croire que j’ai l’idée d’être coquette avec lui ?… Ou bien s’imagine-t-il que j’ai appris ses projets de mariage et a-t-il peur ?… Peur de quoi ? Je n’ai pas mérité cet affront, alors que j’ai accepté cette rupture sans un mot de reproche, sans une plainte… Oui, j’ai été folle de faire écrire cette lettre par mon père… Mais cela ne se passera pas ainsi. Il faut que je m’explique avec Jules, que je lui dise… Quoi ?… Que John Corbin m’a appris son histoire avec Mme Tournade et Mlle d’Albiac, et qu’alors la douleur m’a emportée, comme dans un vertige ?… Jamais, non, jamais, je ne lui dirai cela… Il croirait que je l’aime toujours, et je ne l’aime plus… Non, je ne l’aime plus, après qu’il m’a livrée à cette méchante femme. Dieu juste ! Est-ce vraiment possible qu’il ait trahi notre secret ? Pourquoi pas, puisqu’il n’a plus rien dans le cœur pour moi ?… Il y a six mois, comme il était autre !… Mais, puisqu’il ne m’aime plus, qu’est-ce qu’il vient faire ici ?… Il n’est pas humain, cependant, qu’il s’entende avec cette femme pour me faire souffrir. Pourquoi ?… Je suis sûre qu’il ne sait même pas que je l’ai vue… »

Qu’il y avait de tendresse encore dans ce doute ! Quel désir de pardon déjà ! La visite de Jules ne devait pas s’achever sans qu’il eût donné le plus cruel démenti à cette affirmation que la malheureuse enfant essayait de s’imposer à elle-même, avec un tel besoin de justifier son ami de ce printemps, — malgré tout. Ce changement d’expression dans la physionomie du séduisant Jules n’empêchait pas qu’un irrésistible attrait n’émanât pour elle des lignes si fines de ce mâle visage, une séduction de chacun des gestes hardis et souples du jeune homme. Un mot, un seul, qui eût contenu une allusion attendrie à leurs communs souvenirs, et rien ne fût demeuré