Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/280

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des deux jeunes filles, épiant, sur leur visage, les émotions infligées à chacune par la présence de l’autre ?

Elle ne cessait de les étudier que pour regarder Jules. Il continuait, lui, à causer avec le piqueux, — de son même air heureux de jeune seigneur insouciant, qui se sent un bon cheval entre les genoux, l’allégresse de ses vingt-cinq ans dans tous ses muscles, et qui n’attend que le signal du découplement des chiens pour plonger dans la forêt, avec délices, à la poursuite du cerf que la meute aura fait débucher. La femme de plus de quarante ans aurait dû trouver, dans cette indifférence apparente du jeune homme à l’égard de Louise et de Hilda, une occasion de se réjouir. Puisqu’elle rêvait d’en faire son mari, n’était-ce pas une preuve qu’il n’avait pas de bien vifs sentiments à lui sacrifier ? Mais comment ne pas constater qu’il ne semblait pas moins indifférent pour elle ?… Était-ce l’irritation de cette froideur ? Était-ce le secret remords de quelque action indélicate à laquelle la jalousie l’avait entraînée, et dont rougissait son fonds de probité bourgeoise ? Était-ce cette jalousie même ? Les silhouettes de ses deux rivales, si fines, si élégantes, lui démontraient trop bien que, dans une lutte avec elles, son argent seul pouvait la faire triompher… Était-ce encore une appréhension de cette chasse, sur un cheval qu’elle connaissait à peine ?… Ou bien y avait-il un peu de ces divers motifs dans son énervement ? Toujours est-il que sa voix se fit presque impérieuse et qu’une brusquerie passa dans son geste pour dire à Hilda, en la touchant au bras du pommeau de sa cravache :

— « Quand allons-nous nous mettre en selle, mademoiselle ? À quoi pensez-vous ?… Veuillez vérifier si les sangles sont solides et si la bête est bien embouchée… Et vite… »