Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/293

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tendu l’oreille. Un son de trompe lui était arrivé.

— « La Vue… » dit-elle simplement. D’un petit appel de langue, elle excita son cheval, en le lançant dans la direction où elle croyait avoir le plus de chances de rejoindre les autres. La bête était partie de toute sa vitesse. La monture de Mme Tournade avait suivi. C’est alors que la pauvre femme avait commencé d’avoir peur, et, impuissante à empêcher que son cheval ne galopât tête à tête avec l’autre, poussé ce cri, puis supplié que la hardie écuyère ralentît son train. Miss Campbell l’avait regardée. Elle avait reconnu que la poltronne se tenait bien, malgré sa terreur, et ne courait aucun danger. Le terrain était très bon, les bêtes très sûres. Hilda n’avait pas tenu compte de cette imploration de l’apprentie cavalière. La sympathie subite éprouvée pour Mlle d’Albiac n’empêchait pas qu’elle n’aimât Jules et qu’un sursaut de jalousie ne lui eût étreint le cœur à voir sa rivale — la seule vraie — s’éloigner, botte à botte, avec le jeune homme. Sa douceur native n’empêchait pas, non plus, qu’elle ne gardât rancune à la veuve pour ses insolences de leur première rencontre et celles de la matinée. L’occasion s’offrait, trop tentante, d’exercer une petite vengeance, et dans les données de ce métier auquel la parvenue l’avait rappelée si durement. Au lieu de retenir son cheval, elle lui rendit tout. Du talon, elle le touche au flanc. Un second appel de langue l’anime encore. Il redouble de vitesse. Son camarade d’écurie ne veut pas rester en arrière, malgré les efforts désespérés de celle qui le monte et qui n’a même plus de souffle pour supplier, comme tout à l’heure… Les taillis succèdent aux taillis, défilant devant les yeux de Mme Tournade, hypnotisée d’épouvante, avec l’instantanéité folle des paysages traversés en automobile.