Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/294

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Les routes succèdent aux routes. Evidemment, Hilda s’était égarée… Aucune sonnerie de trompe. Aucun aboiement de chiens n’arrivait plus aux deux amazones emportées ainsi dans ce galop insensé. Derrière elle, si elle eût la force de se retourner, Mme Tournade n’aurait aperçu aucun cavalier. Elles étaient parties si vite que Corbin, occupé, au même moment, à se battre contre les rétivetés de sa bête, les avait vues disparaître comme elles-mêmes avaient vu disparaître Maligny. Arrivé, lui aussi, à l’orée de la grande avenue, il avait hésité, comme elles, cinq minutes auparavant, sur la direction à prendre. Il s’était engagé dans l’allée précisément opposée… Et les chevaux des deux femmes galopaient toujours. Le visage de la jeune Anglaise exprimait une si farouche résolution que sa victime en demeurait médusée. L’idée lui était soudain venue d’un guet-apens prémédité et que l’écuyère voulait sa mort. Cramponnée d’une main à la crinière, et la jambe crispée sur la fourche, elle attendait la chute inévitable avec une angoisse qui décomposait ses traits, en même temps qu’une sueur d’agonie inondait sa face : et, résultat inattendu, que Hilda n’avait certes pas prémédité, la plus comique transformation s’accomplissait en elle. La teinture de ses cheveux ruisselait en longues raies noires sur sa peau, où la céruse avait fondu. Les secousses de cette course enragée déplaçaient, avec son chapeau, le postiche qui couronnait son front. D’autres mèches s’éparpillaient hors de son chignon… Les chevaux galopaient toujours. Enfin, la malheureuse Mme Tournade jeta un nouveau cri, — de salut, cette fois. À l’extrémité d’une contre-allée, s’apercevait un groupe formé de quelques cavaliers et de plusieurs voitures. Au même instant, Hilda ralentissait le train de sa bête. Le cheval de la veuve imita son camarade dans le passage à une allure