Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/318

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jalouse que l’excès de la peine lui faisait se répéter de nouveau. « Ah ! c’est trop souffrir ! C’est trop ! C’est trop !… » C’est dans des instants pareils, et quand le besoin de se débarrasser de l’intolérable douleur possède toute l’âme, que l’idée du suicide apparaît avec une force et une soudaineté également déconcertantes. L’idée ?… Non. L’âme n’a plus assez de lucidité pour regarder en face un projet, même celui-là. Mais, qu’une circonstance se présente qui lui fasse entrevoir une possibilité d’en finir, elle s’y précipite, de même qu’un homme, tordu par les spasmes du tétanos, s’élance par une fenêtre ouverte, — irrésistiblement, presque inconsciemment… Hilda continuait d’aller droit devant elle, quand, tout à coup, un bond de sa monture la réveilla, malgré elle, de cet hypnotisme. Le cheval venait d’apercevoir le cerf qui arrivait, à corps perdu, par une allée transversale, suivi de la meute. De blond qu’il était, il paraissait noir, dans l’épuisement de sa fatigue. À bout de souffle, il tentait un dernier effort… Avec la rapidité de l’éclair, une image se peignit dans le souvenir de Hilda : celle d’un chasseur qui avait été, l’année auparavant, renversé de son cheval par un animal traqué de la sorte[1]. Et voici que John Corbin la vit, sans comprendre à quelle intention elle obéissait, retenir, devant l’entrée de l’allée, son cheval épouvanté, ce cheval se débattre sous la pression du mors et de la jambe, et essayer de tourner sur place… La jeune fille le maintient. Toute son adresse d’écuyère s’emploie à le placer de telle façon qu’elle et lui fassent une barrière que le cerf devra franchir. Il arrive, ce cerf, la tête haute, la langue

  1. Les personnes qui douteraient de la réalité de cette aventure n’ont qu’à consulter les journaux spéciaux. Elles y trouveront le récit d’une anecdote identique, arrivée dans l’équipage de Bonnelles, durant la saison de chasse de 1903.