Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/80

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de Maligny. Elles ne savent pas ce que c’est que la peur… Si elle avait vu arriver ce cad[1], l’autre jour, elle aurait balayé le plancher avec lui… Vous dites cela ?… »

Cette expressive métaphore, brutalement traduite de sa langue natale, s’accordait bien avec l’insolence de son discours. Elle fut accompagnée d’un clignement d’yeux qui justifiait, en tout petit, le mot fameux de l’Empereur : « Les Anglais ne s’aperçoivent jamais qu’ils sont battus… »Celui-là ne voulait pas admettre, au moment même où son cœur de père débordait de reconnaissance pour le protecteur de sa fille, que cette fille eût eu besoin d’être protégée ! Puis, comme les affaires sont les affaires, il dit un : « Je vô demande votre pardon » peu cérémonieux, et il se retourna vers le cheval cap de maure et ses acheteurs, tandis que le rusé Maligny, entrevoyant aussitôt une chance de poser un premier jalon, interrogeait Hilda :

— « Et le cheval que vous montiez l’autre jour, est-il toujours ici, mademoiselle ?… »

— « Oui, » répliqua-t-elle. « Tenez, le reconnaissez-vous ?…. » Elle montrait la tête éveillée du Rhin, qui se tendait désespérément, par-dessus la porte basse de son box, vers un seau d’eau posé à quelque distance. Ses naseaux reniflaient de convoitise. Ses lèvres gourmandes s’allongeaient. Vains efforts !… « Je vais te consoler, petit Rhin, » lui dit la jeune fille. « Allons, prends ton sucre. » Et, pour faire admirer à son nouvel ami le génie du spirituel animal, elle se haussait sur ses menus pieds, mettant ainsi, à la hauteur du museau penché de la bête, la poche de sa jupe, où elle cachait une provision de

  1. Cad, mot de la langue familière, qui signifie à peu près : goujat.