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LE DISCIPLE

ceux qui passaient leurs jeudis au café ou chez les filles, — un soir, vers les huit heures, je sortis de la maison, sous prétexte d’un mal de tête. — Oui, c’était un soir d’été. Je respire encore l’odeur de poussière mouillée qui flottait sur la place de Jaude arrosée de l’après-midi. Je m’acheminai vers le faubourg de Saint-Allyre, où demeurait Marianne, c’était le nom de la créature, avec l’angoisse qu’elle ne fût pas chez elle. Je la trouvai dans sa pauvre chambre, et cette seconde fois fut la première où je m’abandonnai vraiment au délire animal, quitte à me retirer en proie au même mortel dégoût. Dès lors, à côté des deux autres personnes qui vivaient déjà en moi, entre l’adolescent encore fervent, régulier, pieux, et l’adolescent romanesquement imaginatif, un troisième individu naquit et grandit, un sensuel, tourmenté des désirs les plus bassement brutaux. Pourtant le goût de la vie intellectuelle subsistait en moi, si fort, si définitif, que, tout en souffrant de cet état singulier, j’éprouvais une sensation de supériorité à le constater, à l’étudier. Ce qu’il y avait de plus étrange, c’est que je ne m’abandonnais pas plus à cette dernière disposition qu’aux trois autres, avec une claire et lucide conscience. Je demeurais un adolescent à travers ces troubles, c’est-à-dire un être encore incertain, inachevé, en qui s’ébauchaient les linéaments de son âme à venir. Je ne m’affirmais ni dans mon mysticisme,