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LE DISCIPLE

grisante. J’ai connu, dans ces moments-là, des journées littéralement folles, tant elles renfermaient en elles d’heures contradictoires, des journées où je me levais, plus fervent chrétien que jamais. Je lisais un peu d’Imitation, je priais, j’allais à ma classe avec le ferme propos d’être parfaitement régulier et sage. Sitôt rentré, je faisais mes devoirs, puis je descendais pour voir Émile. Nous nous livrions ensemble à quelque lecture troublante. Son père et sa mère, qui le voyaient mourir et qui le gâtaient, lui laissaient prendre chez le libraire tous les livres qui lui plaisaient, et nous en étions maintenant aux écrivains plus modernes, à ceux d’aujourd’hui, dont les volumes, arrivés récemment de Paris, exhalaient une odeur de papier frais et d’encre neuve. Nous nous procurions ainsi un frisson du cerveau qui m’accompagnait tout l’après-midi, et cependant je retournais en classe. Là, dans l’étouffante chaleur du milieu du jour, tandis que les portes ouvertes sur la cour laissaient voir l’ombre courte des arbres, et aussi que l’on entendait les voix lointaines des professeurs dictant les devoirs, l’image de Marianne s’offrait à moi, et une tentation commençait, d’abord lointaine et vague, qui allait grandissant, grandissant. J’y résistais, en sachant que j’y succomberais, comme si de lutter contre mon obscur désir m’en faisait davantage sentir la force et l’acuité. Je rentrais. L’image impure me