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LE DISCIPLE

religieuses, je ne gardais de mes anciennes pratiques de piété qu’une seule, l’habitude d’un examen de conscience quotidien, sous forme de journal, et, de temps à autre, je faisais ce que j’appelais une oraison. Je transportais, comme je vous l’ai dit déjà, et avec une jouissance étrange, les termes de la religion dans le domaine de ma sensibilité personnelle. J’appelais cela encore la liturgie du Moi. Je me souviens qu’un des soirs de la seconde semaine que je passai au château de Jussat, j’employai ainsi plusieurs heures à rédiger une confession générale, c’est-à-dire à dresser un tableau complet de mes instincts divers depuis le plus lointain éveil de ma conscience. J’arrivai à cette conclusion que le trait essentiel de ma nature, la caractéristique de mon être intime avait toujours été, comme je l’ai marqué en commençant le présent travail, la faculté de dédoublement. Cela signifiait une tendance constante à être tout ensemble passionné et réfléchi, à vivre et à me regarder vivre. Mais en m’emprisonnant, comme je le voulais, dans la réflexion pure, en négligeant justement de vivre pour n’être plus qu’un regard ouvert sur la vie, ne risquais-je pas de ressembler à cet Amiel dont le douloureux journal paraissait alors, de me stériliser par l’abus de l’analyse à vide ? Pour me renforcer dans ma résolution d’une existence abstraite, en vain votre image me revenait, mon cher maître. Je me rap-