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LE DISCIPLE

portion de sa tête et de l’attache du col qu’elle avait dégagée et si naturellement noble. Si le comte André reproduisait un de leurs communs ancêtres par un atavisme évident, elle trouvait, elle, le moyen de ressembler à leur père, avec une telle idéalité de lignes que c’était à ne pas admettre cette ressemblance, lorsqu’on ne les voyait pas l’un à côté de l’autre. Il était néanmoins aisé de reconnaître en elle l’influence des dispositions nerveuses qui, chez le père, créaient l’hypocondrie. Charlotte était d’une sensibilité presque morbide, que révélait, à de certaines minutes, un léger tremblement des mains et des lèvres, ces belles lèvres sinueuses où résidait une bonté presque divine. Son menton très ferme dénonçait une rare force de volonté dans cette enveloppe frêle, et je comprends aujourd’hui que la profondeur de ses yeux, parfois immobiles et comme attirés vers un point visible pour eux seuls, trahissait une tendance fatale à l’idée fixe. Comment l’aurais-je remarqué dès lors ? Le premier trait que j’ai observé en elle — dès la seconde semaine qui suivit mon arrivée — fut cette extrême bonté, et cela, grâce au petit Lucien. Cet enfant me raconta qu’elle l’avait prié de savoir de moi, à plusieurs reprises, s’il ne me manquait rien dans ma chambre, — humble détail très puéril, mais qui me toucha, parce que je me sentais bien seul dans cette grande maison où per-