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LE DISCIPLE

lotte. Elle m’écoutait sans donner le moindre signe d’émotion, les yeux baissés sur le gros livre contre lequel s’appuyait sa main. Elle prit ce livre quand j’eus fini, en me répondant avec une voix devenue blanche, comme on dit, une de ces voix qui ne laissent rien passer des sentiments de celui qui parle ainsi :

— « Je ne comprends pas que vous ayez pu avoir confiance dans cette jeune fille, puisqu’elle vous écoutait à l’insu de ses parents… »

Et elle s’en alla, emportant l’épais volume à tranche rouge avec une simple inclination de sa gracieuse tête. Comme elle était jolie dans sa robe de drap clair, et fine, et presque idéale avec sa taille mince, son corsage frêle, son visage un peu long qu’éclairaient ses yeux d’un gris pensif ! Elle ressemblait à une Madone gravée d’après Memling, dont j’avais tant admiré autrefois la silhouette, fervente, gracile et douloureuse, à la première page d’une grande Imitation appartenant à l’abbé Martel. Expliquez-moi cette autre énigme du cœur, vous, le grand psychologue, jamais je n’ai mieux senti le charme suave et pur de cet être qu’à cette seconde où je venais de lui tant mentir, et de lui mentir, m’imaginai-je aussitôt d’après sa réponse, inutilement. Oui, j’eus la naïveté de la prendre au pied de la lettre, cette réponse, qui aurait dû tout au contraire m’encourager à l’espérance. Je ne devinai pas que