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LE DISCIPLE

Ainsi je me trouvais du coup promus à une nouvelle domesticité, sans avoir pu même calculer si cela convenait ou non à mes études, puisque, même le soir, j’apportais souvent dans le salon des ouvrages de licence afin de travailler un peu sans quitter Lucien. Mais je ne pensai pas une seconde à esquiver cette corvée, ni même à en souffrir. D’abord la brusquerie du marquis m’avait valu un coup d’œil presque suppliant de la jeune fille, un de ces coups d’œil par lesquels une femme sait demander pardon, sans parler, pour un tort de quelqu’un qu’elle aime. Puis, un projet nouveau venait de s’ébaucher immédiatement dans ma tête. Cette corvée de lecture, ne pourrais-je pas l’utiliser au profit de l’entreprise de séduction commencée, abandonnée, et que le regard de Mlle de Jusaat venait de me faire considérer de nouveau comme possible ? À la question du marquis sur le choix du livre, je répondis que je chercherais. Je cherchai en effet, mais un ouvrage qui pût me permettre de m’approcher de la proie autour de laquelle je tournais, comme j’avais vu une fois, près du puy de Dôme, un milan tourner au-dessus d’un joli oiselet. N’était-ce pas le cas de tenter par un autre procédé cette influence d’imitation que j’avais vainement espérée de ma fausse confidence ? C’est à vous, mon cher maître, que l’on doit les plus fortes pages qui aient été écrites sur ce que vous appelez si justement l’Âme