Page:Bourget - Le Disciple.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
LE DISCIPLE

fille, toujours et toujours plus captivée durant les trois soirs que dura cette lecture. La marquise fit simplement remarquer que des caractères de la noirceur du père Grandet et du cousin n’existent pas. Quant au marquis, il avait trop vécu pour proférer des opinions de cette naïveté, il formula d’un mot les causes de son ennui pendant la lecture :

— « Décidément, c’est bien surfait. Ces descriptions qui n’en finissent pas, ces analyses, ces calculs de chiffres… C’est très bien, je ne dis pas… Mais quand je lis un roman, moi, c’est pour m’amuser… »

Et il conclut qu’il fallait demander au libraire de Clermont la suite entière des comédies de Labiche. Cette nouvelle fantaisie me désola, j’allais donc me retrouver dans l’impuissance d’agir sur l’imagination tentée de la jeune fille, juste au moment où je venais d’entrevoir le succès probable. C’était mal connaître le besoin que cette âme, déjà touchée, éprouvait à l’insu d’elle-même, — celui de se rapprocher de moi, de me comprendre et de se faire comprendre, de vivre en contact avec ma pensée. Le lendemain du jour où le marquis avait porté cet arrêt de proscription contre les romans d’analyse, je vis Mlle de Jussat entrer dans la bibliothèque à l’heure où j’y travaillais avec son frère. Elle venait remettre à sa place le volume maintenant inutile de l’Encyclo-