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LE DISCIPLE

prendre qu’il n’y a pas de mauvais livres. Il y a de mauvais moments pour lire les meilleurs livres. Vous avez, vous, mon cher maître, une comparaison si juste dans votre chapitre sur l’Âme Littéraire quand vous assimilez la plaie ouverte sur certaines imaginations par certaines lectures au phénomène bien connu qui se produit sur les corps empoisonnés de diabète. La plus inoffensive piqûre s’y envenime de gangrène. S’il était besoin d’une preuve à cette théorie de « l’état préalable », comme vous dites encore, je la trouverais dans ce fait que Mlle de Jussat chercha surtout dans ces livres, de provenances si diverses, des renseignements sur moi, sur mes manières de sentir, de penser, de comprendre la vie et les caractères. Chaque chapitre, chaque page de ces dangereux volumes lui devint une occasion de me questionner longuement, passionnément et naïvement. Oui, je suis certain qu’elle était de bonne foi et qu’elle s’imaginait ne rien faire de mal quand elle venait causer avec moi maintenant, à propos de telle ou telle phrase sur Dominique ou sur Julia, sur Félix de Vandenesse ou sur Perdican. Je me souviens encore de l’horreur qu’elle ressentit pour ce jeune homme, le plus séduisant et plus coupable des héros de Musset, et de la chaleur avec laquelle je lui fis écho, en flétrissant sa duplicité de cœur entre Camille et Rosette, Or il n’y avait pas de personnage qui me plût dans aucun livre au même