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LE DISCIPLE

réveillée d’un horrible sommeil. Elle vit ses mains nues, qui tremblaient encore, et, sans ajouter un mot, elle ramassa ses gants et ses fleurs, et elle se mit à courir devant moi, oui, à courir comme une bête poursuivie, dans la direction d’où était partie la voix. Dix minutes après, nous étions de nouveau sur la route.

— « Je ne me suis pas sentie très bien, » dit-elle à sa gouvernante, comme pour prévenir la question qu’allait provoquer son visage décomposé ; « voulez-vous me donner place dans la voiture ? Nous allons rentrer… »

— « C’est cette chaleur qui vous aura incommodée, » répondit la vieille demoiselle.

— « Et M. Greslou ?… » demanda l’enfant, lorsque sa sœur se fut installée et qu’il eut lui-même pris place à l’arrière.

— « Je reviendrai à pied, » répondis-je.

La charrette anglaise détala, lestement, malgré sa quadruple charge, dans un adieu de Lucien, qui me salua d’un geste. Je pouvais voir le chapeau de Mlle de Jussat immobile à côté de l’épaule du cocher, qui donna du pull up à son cheval, puis la voiture disparut et je me retrouvai, m’acheminant seul sur cette route, par ce même ciel bleu et entre ces mêmes arbres couverts d’un semis d’une impalpable verdure. Mais une angoisse extraordinaire avait remplacé en moi l’allégresse et les ardeurs heureuses du commencement de la