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LE DISCIPLE

jeune fille ne surveillait pas étroitement sa correspondance, au lieu que sa mère la surveillerait. Il fallait profiter du temps où cette dernière était encore à Aydat et redoubler l’impression certainement produite par ma lettre. J’écrivis donc chaque jour, jusqu’au départ de la marquise, des lettres pareilles à cette première, et je n’avais aucune peine à y jouer l’amour. Mon passionné désir de faire revenir Charlotte était sincère, — aussi sincère que peu raisonnable. J’ai su depuis qu’à chaque arrivée nouvelle de ces dangereuses missives, et sitôt mon écriture reconnue, elle demeurait des heures à lutter contre la tentation d’ouvrir l’enveloppe. Puis elle l’ouvrait. Elle lisait et relisait ces pages, dont le poison agissait sûrement. Comme elle ignorait la découverte qui m’avait rendu maître de son secret, elle ne pensait pas à se défendre contre l’opinion que je pouvais concevoir d’elle. Pour se justifier de cette lecture, elle se disait sans doute que je l’ignorerais toujours, comme j’ignorais son amour naissant. Ces quelques lettres la touchèrent même si vivement qu’elle les conserva. On a retrouvé leurs cendres dans la cheminée de sa chambre. Elle les y a brûlées la nuit de sa mort. Je soupçonnais bien l’effet troublant de ces pages que je griffonnais la nuit, exalté par la pensée que je lirais là mes dernières cartouches, et cela ressemblait bien à des coups de fusil dans un brouillard,