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LE DISCIPLE

Mes habitudes d’analyse quasi mathématique se mettaient au service de mon projet de guérison, et je décomposais le problème en ses éléments d’après la méthode des géomètres. Je réduisais cette question à cette autre : « Qu’est-ce que l’amour ? » à quoi je répondais brutalement par votre définition ; « L’amour, c’est l’obsession du sexe. » Or, comment se combat une obsession ? Par la fatigue physique, qui suspend, qui du moins diminue le travail de la pensée. Je m’astreignis donc et j’astreignis mon élève à de longues marches. Les jours où je n’avais pas de classe à lui faire, le dimanche et le jeudi, je partais, seul, dès la première pointe du matin, après avoir arrêté l’heure et l’endroit où Lucien me rejoindrait avec la voiture. Je me faisais réveiller vers les deux heures. Je sortais du château dans ce demi-crépuscule froid qui précède le lever de l’aurore. J’allais droit devant moi, frénétiquement, choisissant les pires coursières, m’attaquant dans mes ascensions des puys les plus rapprochés aux côtés abrupts, presque inaccessibles. Je risquais de me casser les reins en dévalant le long des sables fuyants des cratères, ou sur les escaliers des crêtes de basalte. N’importe. J’allais dans la nuit finissante. La ligne orangée de l’aurore gagnait le bord du ciel. Le vent du jour nouveau fouettait ma face. Les étoiles se fondaient comme des pierreries noyées dans le flot d’un azur d’abord tout