Page:Bourget - Le Disciple.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
LE DISCIPLE

« pas seul, pas seul… Nous mourrons ensemble. Après ce que j’ai fait, il n’y a plus que cela… » Elle fit le geste de porter la fiole à ses lèvres. Je la lui enlevai, et elle, avec un sourire presque fou : « Mourir, oui, mourir là, près de vous, avec vous… » Et elle s’approchait encore, posant sa tête sur mon épaule, si bien que je sentais contre le bas de ma joue la soie fine de ses cheveux. « Ainsi… Ah ! il y a si longtemps que je vous aime, si longtemps… Je peux bien vous le dire maintenant, puisque je paye ce droit de ma vie… Vous voulez bien me prendre avec vous, nous en aller ensemble tous deux, tous deux ?… »

— « Oui, » lui répondais-je, « ensemble, nous mourrons ensemble. Je vous le jure. Mais pas tout de suite… Ah ! laissez-moi le temps de sentir que vous m’aimez… » Nos lèvres s’étaient unies de nouveau, mais cette fois elle me rendait mes baisers. Je la serrai contre moi. Je la sentis qui défaillait sous cette étreinte. Je l’entrainai jusqu’à mon lit, ainsi enlacée à moi, et elle s’abandonna tout entière. Ah ! ce furent de ces baisers où l’extase de l’âme en débordant sur tout le corps donne à la fièvre des sens l’ardeur d’un élan spirituel, où le passé, le présent, l’avenir, s’abolissent pour ne plus laisser de place à rien qu’à l’amour, à la douloureuse, à l’enivrante folie de l’amour. Cette frêle vierge, cette vivante statuette de Tanagra était à moi dans son innocence.