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LE DISCIPLE

Elle m’embrasse de nouveau. Sa physionomie était redevenue calme dans son exaltation, presque souriante.

— « Donne-moi le poison, » dit-elle d’une voix ferme et me tutoyant pour la première fois.

Je restai immobile sans lui répondre.

— « Tu as peur pour moi, » reprit-elle ; « va, je saurai mourir… Donne… »

Je me levai du lit, toujours sans répondre. Elle s’était mise sur son séant et joignait ses mains sans me regarder. Priait-elle ? Était-ce le dernier effort de cette âme pour arracher d’elle cet amour de la vie qui pousse de si profondes racines dans un être de vingt ans ? Je vous donnerai la mesure de mon sang-froid quand je vous aurai marqué ce détail puéril, mais bien significatif : je réparai en hâte le désordre de ma toilette en prévision d’éviter le ridicule dans la scène que je savais imminente. Car ma résolution d’empêcher ce double suicide était maintenant absolue. J’eus le sang-froid encore de saisir la fiole brune sur la table et de la porter dans une armoire à la clef de laquelle je donnai un tour. Ces préparatifs, auxquels elle ne prenait pas garde, semblèrent sans doute longs à Charlotte, car elle insista en se tournant vers moi :

— « Je suis prête, » dit-elle.

Elle vit mes mains vides. L’expression extatique de son visage se changea en une angoisse