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LE DISCIPLE

elle un principe de mort, qu’elle répand à l’heure présente ce principe dans tous les coins du monde. — la cruelle secousse à recevoir, et la cruelle blessure, quand la secousse ne devrait durer qu’une heure et la blessure se fermer aussitôt !

Tous les penseurs révolutionnaires ont connu de ces heures d’angoisse. La plupart les traversent vite. Voici pourquoi. Il est rare qu’un homme soit lancé dans la bataille des idées sans vite devenir le comédien de ses premières sincérités. On soutient son rôle. On a des partisans, et surtout on arrive bientôt, par le frottement avec la vie, à cette conception de l’à-peu-près qui vous fait admettre comme inévitable un certain déchet de votre Idéal. On se dit que l’on fait du mal ici, du bien ailleurs, et, quelquefois, qu’au demeurant le monde et les gens iront toujours de même. Chez Adrien Sixte, la sincérité était trop ingénue pour qu’un pareil raisonnement fût possible. Il n’avait, lui, ni rôle à jouer ni fidèles à ménager. Il était seul. Sa philosophie et lui ne formaient qu’un, et les compromis dont s’accompagne toute grande renommée n’avaient rien entamé dans sa belle âme farouche et fière de savant. Il faut ajouter qu’il avait trouvé le moyen, grâce à sa parfaite bonne foi, de traverser la société sans jamais la voir. Les passions qu’il avait dépeintes, les crimes qu’il avait étudiés, lui apparaissaient comme ces