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LE DISCIPLE

à la mère, puis ce sera fini. L’heure de son dîner était venue parmi ces réflexions. Il mangea seul, comme toujours, assis au coin d’un poêle de faïence, — très frileux, le chauffage était son unique luxe, — et devant une table ronde, toute petite, couverte d’une toile cirée. La lampe qui servait à ses travaux éclairait son frugal repas, composé, ce soir-là, suivant l’habitude, d’un potage et d’un seul plat de légumes, avec quelques raisins secs pour dessert, et, pour boisson, simplement de l’eau. D’ordinaire, il prenait au hasard un des livres qui garnissaient une bibliothèque, exilée dans cette chambre, afin d’éviter l’encombrement, ou bien il écoutait Mlle Trapenard lui exposer les détails du ménage. Ce soir-ià, il ne chercha pas de livre, et sa gouvernante essaya en vain de savoir si la visite de la dame et la citation chez le juge avaient le moindre rapport. Le vent se levait, un vent d’hiver dont la plainte mourait doucement contre les volets, à travers le sombre espace vide. Assis dans son fauteuil, après son dîner, au lieu de sortir, et devant le manuscrit de Robert Greslou, le savant écouta longtemps cette plainte monotone. Ses hésitations le reprirent. Puis la psychologie l’emporta sur les scrupules, et quand plus tard Mariette vint pour annoncer à son maitre que sa couverture était faite et chercher la lampe, il lui ordonna d’aller se coucher. Deux heures sonnaient qu’il était encore à lire l’étrange mor-