Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/108

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étonnée de l’altération de ses traits. Mais si la jeune veuve avait nourri même la plus vague idée qu’il y eût à cet évident malaise de sa sœur une autre cause que la lassitude physique – et quelle cause ! – aurait-elle prononcé si librement le nom qui allait lui venir aux lèvres tout de suite ?

– « Je préviendrai Liébaut, qui te grondera… » dit-elle. Puis, reprenant sa confidence. « Tu as deviné qu’il s’agit de Brissonnet… Je devais passer la soirée hier au Théâtre-Français. Tu te souviens, j’en avais parlé à cinq heures, ici, au thé, devant lui. À peine entrée dans ma loge, et au premier coup d’œil que je jette sur la salle, qui aperçois-je, assis à l’un des fauteuils d’orchestre, et avec un air d’être à mille lieues du spectacle ?… Notre commandant !… »

– « Il peut avoir eu simplement la même fantaisie que toi, » répondit Madeleine, « celle d’entendre une pièce dont tout le monde parle… »

– « Il est un peu trop coutumier du fait, » reprit Agathe : « À l’Opéra, vendredi dernier, ç’a été la même histoire ; la même histoire au Vaudeville, lundi. Si seulement il montait me rendre visite dans ma loge, comme il serait naturel, on ne le remarquerait pas… Mais il demeure là, immobile, à sa place, et quand il croit ne pas être observé, il me regarde, avec sa lorgnette encore, indéfiniment… »